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“Les canaux devaient désenclaver la Bretagne, un peu comme le plan routier promis par de Gaulle en son temps”

INTERVIEW – Auteur de l’ouvrage Les canaux de Bretagne, Kader Benferhat revient sur l’exploit technique des ingénieurs français pour concevoir les canaux dans une Bretagne “aux mœurs sauvages”, leur importance économique et stratégique d’alors et leur place toujours centrale dans le territoire d’aujourd’hui.

S’intéresser à l’histoire des canaux de Bretagne, c’est se plonger dans l’histoire de France…

C’est très juste ! Les débuts de la canalisation débutent en 1539, sous François 1er. La province de Bretagne à peine unie au royaume de France jouissait encore d’une grande autonomie. Les États de Bretagne – l’assemblée des représentants de Bretagne jusqu’en 1789 qui se réunissait alternativement à Nantes et à Rennes – soumettent et obtiennent l’accord du roi de France de canaliser la vilaine entre les villes de Rennes et de Messac, devenue depuis Guipry-Messac. Avant la canalisation, les bateaux arrivaient jusqu’à Redon mais il fallait les décharger et poursuivre l’acheminement des marchandises sur des charrettes empruntant des chemins peu praticables.

Ce projet de navigation intérieure qui devait placer la Bretagne comme « centre commun des nations commerçantes de l’Europe », ne s’est poursuivi qu’au 18ème siècle, sous Louis XVI. A l’époque, relier les grands ports bretons avait pour objectif de désenclaver la Bretagne, un peu comme le plan routier gratuit promis par de Gaulle en son temps.

Une véritable ingénierie hydraulique s’est développée autour des canaux.

Entre temps, la Révolution disperse les États de Bretagne et met un terme à la canalisation jusqu’à ce Napoléon relance la navigation intérieure…

Pour l’empereur, l’objectif n’était plus uniquement économique mais stratégique, afin de ravitailler les ports bretons et ainsi faire face au blocus maritime imposé par les Anglais. Le canal de Nantes à Brest démarre en 1799, celui d’Ille-et-Vilaine en 1804 et le canal du Blavet débute en 1802. Le réseau des canaux bretons est finalement achevé en 1842, mais il est moins ambitieux que le projet des États de Bretagne.

Petites histoires dans la grande : le 7 septembre 1811, à Port-Launay, dans le Finistère, on pose la pierre de la première écluse qui « attestera aux siècles futurs la bienfaisance et la gloire du plus chéri des Souverains ». Quant à la ville de Pontivy, qui connaîtra un essor économique liée au canal, elle changea six fois de nom, rebaptisée Napoléonville et même, en 1814, Bourbonville ! Et que dire de l’écluse nommée « Madame » suite à l’inauguration, en 1828, par Charles X et la duchesse de Berry de la première écluse sur l’Erdre .

> 8 chiffres pour mieux connaître les canaux de Bretagne

D’un point de vue technique, la construction des canaux a été une véritable prouesse pour l’époque !

Oui, et l’un des plus grands exploits, c’est la création de tous les canaux de jonction entre les bassins de la Loire, de la Vilaine, de la Rance, du Blavet et de l’Aulne. D’un bassin à l’autre, il a fallu créer des parties entièrement artificielles. Les ingénieurs ont aussi planché sur le point de partage des eaux. Ce dernier doit répondre à un double problème contradictoire : être assez haut pour éviter de creuser des tranchées ou tunnels et, en même temps, être le plus bas possible pour capter un maximum d’eau des sources et des ruisseaux.

Le canal de Nantes à Brest est l’exemple du genre avec ses trois points de partage entre les quatre bassins. La construction de la rigole d’Hilvern (alimentant le bief de partage du même nom), longue de 62km avec une pente de 3/10ème de millimètres et reliant deux points distants à vol d’oiseau de 20km est également une prouesse technique. C’est tout une ingénierie hydraulique qui s’est développée autour des canaux.

Ils s’accordèrent à y reconnaître la Sibérie de la Bretagne. Des mœurs sauvages comme le pays, les chemins impraticables, les maisons du bourg obstrués par des fumiers infects…

Si les conditions de travail étaient difficiles pour les ouvriers, les ingénieurs ont, eux aussi, gardé des souvenirs de leur passage en Bretagne… 

De nombreux ouvriers sont morts sur les chantiers, travaillant à la pelle et à la pioche, uniquement aidés par des chevaux. Les ingénieurs, eux, ont dû faire face à une population hostile – certains habitants ont été expropriés, d’autres ne pouvaient plus utiliser leurs moulins le temps de la construction -, qui ne parlait encore que le breton.

Je pense par exemple au récit de l’ingénieur Lecor qui a travaillé sur la tranchée de Glomel, creusée de 1823 à 1832 par les bagnards de Brest. Il écrivait alors : « Lorsque pour la première fois, les ingénieurs se rendirent à Glomel pour préparer les travaux, ils s’accordèrent à y reconnaître la Sibérie de la Bretagne. Des mœurs sauvages comme le pays, les chemins impraticables, les maisons du bourg obstrués par des fumiers infects, pas un toit pour les mettre à l’abri de l’injure du temps… Le pain le plus usuel, le légume le plus grossier y étaient un luxe inconnu… »

Conçus à l’origine pour doper le commerce, les canaux de Bretagne semblent continuer à jouer ce rôle ?

Les canaux ont modelé le paysage, créé du lien social et économique tout en désenclavant la Bretagne intérieure. Ce qui était leur objectif premier. Désormais, ils attirent les touristes et participent autant à l’attractivité économique que culturelle du territoire.

Mais il faut se projeter encore dans le temps… L’écosystème qui s’est développé sur les canaux est devenu une ressource précieuse pour la Bretagne et son environnement. C’est pourquoi il est nécessaire de préserver et entretenir ce patrimoine, comme un legs aux générations futures.

Les canaux de Bretagne, Kader Benferhat, 119 p., Éditions Ouest-France.

La chaîne Public Sénat a consacré un reportage au canal du Midi et au canal de Nantes à Brest.

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